mercredi 26 octobre 2011

Le safran, très chère épice !

QUERCY : VALLÉE DU CÉLÉ

Il permet depuis des siècles de teindre le tissu, il est vénéré dans certains pays lointains pour ses vertus pharmaceutiques; dans le Quercy, il renoue avec une tradition médiévale. Cette épice que l'on pourrait croire populaire n'en est pas moins l'une des plus onéreuses…

Oui, c'est le safran, cette curieuse épice venue du sous-continent indien dans les temps reculés et que nous avons adoptée sous nos latitudes. Une épice pas comme les autres qui - si l'on en rencontre une production non négligeable dans le Rouergue, mais aussi plus près de nous dans le Gâtinais au nord-ouest de la Bourgogne - a renoué en Quercy avec une tradition vieille du Moyen Âge (on en signale des plantations dans la région - en safranières - vers 1290).
Mais pas n'importe où dans le Quercy. Pas sur les immenses causses de Gramat ou de Caylus, où seuls les moutons entretiennent un semblant d'animation entre les cayrous (1). Pas non plus sur les pentes vertigineuses des nombreuses vallées taillées dans ce vaste plateau calcaire. Le safran a trouvé refuge aux abords de la vallée du Lot et du Célé, un de ses principaux affluents, autour du causse de Cajarc. Espagnac-Sainte-Eulalie, Montbrun, mais aussi Saint-Cirq-Lapopie, superbe village perché au-dessus de la vallée encaissée du Lot… voici les nouvelles capitales du royaume du safran rouge du Quercy dont Figeac et Cahors annoncent les limites respectivement orientales et occidentales. Un royaume usurpé, selon les puristes, car le safran n'est-t-il pas simplement le stigmate d'un hôte dont le nom se perd dans les dédales de la gastronomie ?
150 fleurs pour faire un gramme
Crocus sativus linnaeus, cela vous dit quelque chose ? Car telle est la vraie identité de cette fleur qui enchante l'œil, le palais et, si votre safran est de qualité, l'odorat. Car le bon safran doit posséder tous ces atouts. Si l'on considère que chaque fleur, dont les premières éclosent en octobre, compte un pistil prolongé de trois stigmates soit autant que d'étamines - la nature est décidément bien faite -, que la tâche ne peut pas être mécanisée et que chaque fleur cueillie doit être de nouveau séparée de ses stigmates… la question n'est pas l'âge du capitaine mais quel prix allez-vous payer au bout du compte, sachant qu'il faut au moins 150 fleurs pour faire un gramme d'épice ? Comptez 32 € le gramme (2) ! Et surtout, préférez l'or en barre (le stigmate entier) à la poudre, qui perd rapidement ses qualités et, de l'avis des professionnels, est plus facilement frelatée, voire substituée par d'autres produits comme le curcuma, le carthame ou encore l'arnica et même le souci. le stigmate doit avoir une belle couleur rouge pourpre sang de bœuf et doit s'achever, d'un côté, par une légère décoloration vers le jaune, de l'autre, s'évaser en cornet finement dentelé.
Les recettes au safran sont légion dans nos précieux incunables de cuisine. Mais plus que la gourmandise, c'est bien son prix qui vous fera redoubler de précaution lors de l'achat de la précieuse épice…

Précautions d'usage
Attention, le crocus sativus linnaeus n'existe pas à l'état sauvage. Il est souvent confondu avec le colchique qui fleurit dans les prairies humides. Or, la confusion peut avoir de très fâcheuses conséquences : le colchique contient, en effet, de la colchicine, un toxique violent qui lui a valu le doux nom d'« arsenic végétal », Alors méfiance, ne pensez pas vous en tirer à bon compte avec un pseudo-safran sauvage. Un simple doigt ayant touché la plante et porté aux lèvres peut entraîner des inflammations !

(1) Murets de pierres sèches.
(2) À titre comparatif, l'once d'or (28,349 g) est actuellement situé autour de 1229 €, soit à peine 39€ le gramme (oct 2011) !

Julien Frizot – Le Bien Public – Quartier libre n°156 (du 24 au 30 octobre 2003).

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