mercredi 5 décembre 2012

Saussignac : et David devint Goliath…


AQUITAINE : LE BERGERACOIS

Le modeste vin blanc de Saussignac vient d'acquérir ses hautes lettres de noblesse qui lui permettent de rivaliser avec son encombrant voisin monbazillac. Chronique périgourdine d'un vin en devenir…

En aval du Périgord noir et du Sarladais, la vallée de la Dordogne s'évase largement, laissant assez de place pour les cultures maraîchères sur ses berges. Les coteaux sont envahis par la vigne, par les vins pécharmant au nord, les bergerac au sud. C'est de ce côté. là, tournant le dos au sud, que naissent deux des meilleurs vins de ce Périgord pour qui apprécie les liquoreux : le monbazillac, d'abord, le plus médiatique, situé à deux pas de la capitale, locale, Bergerac, et le saussignac, son très proche voisin géographique, beaucoup moins connu mais largement aussi bon. Si le premier roule des mécaniques avec son superbe château dont la belle silhouette, devant les alignements de sarments, illustre tous les guides de la région, Saussignac n'est qu'une modeste commune qui coule des jours paisibles en cette région bénie des dieux. Et ce à plus d'un titre, puisque sur le levant, la commune est accolée au vignoble de Monbazillac, donc, et sur le couchant, par celui de Sainte-Foy (vins du Bordelais).
Pour faire simple, il était une fois un vignoble, objet de nombreuses louanges dont celles de François Rabelais dans son Pantagruel, dont le vin souffrait de l'omniprésence envahissante de son puissant voisin. Si les décrets du 9 octobre 1956 - reconnaissant partiellement le terroir - et du 25 janvier 1967, donnant droit aux viticulteurs de mentionner sur leurs étiquettes « Côtes de Bergerac-Côtes de Saussignac » permettaient à ce vin d'exister, ils ne donnaient pas pleinement satisfaction aux producteurs. Ceux-ci organisèrent leur émancipation en obtenant, par le décret du 28 avril 1982, que leurs vins blancs moelleux portent le nom de Saussignac.
Des vins de grande finesse
Naquit ce jour un nouveau vignoble, légitimement posé sur quatre communes (Gageac-Rouillac, Monestier, Razac de Saussignac et Saussignac) comptant 903 hectares de vignes blanches. Mais que propose ce vin par rapport à son voisin ? Ce vin AOC est avant tout un blanc né de l'assemblage des cépages sémillon, sauvignon, muscadelle, ondenc et chenin blanc. Ce breuvage puise dans ces derniers de l'amplitude et une richesse d'arômes comme le tilleul ou le pamplemousse… L'affaire aurait pu en rester là, si les producteurs n'avaient pas pris conscience du potentiel de leur vin : ils amorcent de fait un sérieux tournant au début des années 1990. Après plusieurs années d'expérimentation, ils mettent en évidence les capacités du saussignac à devenir un vin blanc liquoreux. Leur syndicat (C.I.V.R.B) décide alors de défendre le dossier auprès de l'INAD. Jusqu'en 2004, les viticulteurs produisent un vin liquoreux par dérogation de l'institut, une dérogation accordée à tous les producteurs démontrant des degrés naturels conformes aux normes des liquoreux et avec interdiction de chaptaliser (ajouter du sucre, une grande première en France depuis février 2005). Les vins de Saussignac passaient dans un autre univers, une autre finesse développant des arômes d'acacia, de pêche, voire de chèvrefeuille : ils deviennent alors des vins de bonne garde (5 à 10 ans), mais guère au-delà. Ce sont aussi des vins à boire jeunes, toujours avec modération.
Le millésime 2005 sera donc le premier de cette nouvelle ère officialisée par décret à pouvoir circuler dans la cour des grands liquoreux au même titre que le monbazillac. Et les choses ne devraient pas en rester là puisque l'INAD et le syndicat travaillent en ce moment à la révision de l'aire de production.

Julien Frizot – Le Bien Public – Quartier libre n°260 (du 21 au 27 décembre 2004).

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