mercredi 19 octobre 2011

L’époisses, roi des fromages

BOURGOGNE : l'AUXOIS

Protégé par une appellation d'origine contrôlée depuis 1991, le plus connu des fromages bourguignons a bien failli choir de son trône voici quelques années. Les crises sanitaires ne seront pourtant pas venues à bout du plus parfumé de nos fromages locaux. Petite piqûre de rappel sur le bon époisses.

On ne présente plus par chez nous cette terre d'Auxois, riche de l'amour que lui ont porté les hommes, généreuse comme les flancs des bêtes charolaises qui la foulent, toute aussi discrète comme ce bocage ample et large qui l'emmaillote... Elle est tout entière duale à l'image de cette butte bicéphale de Thil, tantôt donjon, tantôt collégiale : portant à la fois une délicate robe de collines verdoyantes, elle s'adoucit parfois pour accueillir cultures et céréales. Coincé entre le Châtillonnais et ses ondulations calcaires et les premiers contreforts du Morvan, l'Auxois est avant tout terre de tradition, saignée jadis par un long ombilic aux reflets argentés: le canal de Bourgogne, passerelle jetée entre deux mondes, celui froid du nord, vers Paris, l'autre, plus clément, regardant vers Lyon.
Le roi, selon Brillat-Savarin
Mais au-delà de cette carte postale, une autre réalité se fait jour, que les plus observateurs auront sans doute remarquée : ce ne sont pas les bœufs charolais de notre carte qui donnent le lait, ce fameux breuvage que des mains expertes transforment depuis plus de trois siècles en « roi des fromages », pour reprendre les propos dithyrambiques d'un certain Jean-Anthelme Brillat-Savarin. Le lait est celui de vaches montbéliardes, entier cru (*), qui, caillé avec de la pressure afin d'obtenir une coagulation lente, est mis à égoutter. Dès que sa consistance le permet, le futur fromage est retourné sur des paillassons afin de lâcher ses dernières gouttes de petit lait. Ayant acquis une certaine solidité, le fromage est salé : pour ce faire, le sel n'est pas négligemment jeté sur le fromage mais délicatement passé à la paume de la main trempée auparavant dans de l'eau légèrement salée. Cette eau salée passée est aussi souvent accompagnée de marc de Bourgogne. N'y voyez là aucune démarche mercantile pour asseoir la réputation d'un fromage d'ailleurs pluricentenaire, mais une tradition déjà évoquée vers les années 1830-1840.
L'époisses, une lente élaboration
Côté fraîcheur marketing, on repassera ! Le fromage est ensuite disposé en séchoirs, une étape nécessaire avant la fermentation qui a lieu dans une pièce obscure et fraîche. C'est au court de ce « cavage », situé dans un environnement compris entre 9 et 12°C, que certains ferments de la pâte vont agir et donner bientôt au fromage cette teinte rougeâtre si particulière. Autant dire que l'époisses n'est pas une production du lendemain, mais une lente élaboration, puisque les fromages que l'on trouve en ce mois d'octobre sur les étals n'ont ni plus ni moins été fabriqués avec du lait prélevé en juillet-août.
Pourtant protégé par une AOC obtenue de haute lutte en 1991, l'époisses connut une véritable crise sanitaire en février 1999 dont il ne se remit que difficilement. Preuve s'il en fallait que les trésors de nos terroirs sont fragiles...

(*) Depuis 1991, le lait entier cru de vache peut être thermisé ou pasteurisé.

Julien Frizot – Le Bien Public – Quartier libre n°155 (du 17 au 23 octobre 2003).


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