Si les grèves de la baie du Mont-Saint-Michel sont parcourues en long et en large par des armées de touristes randonneurs à la belle saison il est un hôte qui n'attend pas les heures chaudes pour se repaître des bonheurs des lieux : le mouton grévin.
A croire que cette petite région du Cotentin n'a d'yeux que pour lui. Tel un cyclope promenant son œil unique sur la baie qu'il occupe majestueusement, il domine depuis plus d'un millénaire ce paysage lunaire, depuis que quelques moines bénédictins installèrent au VIIIe siècle un oratoire, transformé après maints travaux en abbaye (XIIe siècle), puis qui devint un incontournable lieu de pèlerinage. Lui. c'est le Mont Saint-Michel, l'une des grandes icônes du tourisme hexagonal. Ceux qui ont eu l'opportunité de découvrir les lieux vous conteront l'atmosphère de puissance. d'enracinement et de religiosité qui émane de ce site unique, un site qui semble commander à tout l'environnement proche… Des kilomètres à la ronde, sur des dizaines d'hectares, telle une armée secrète de loyaux sujets, des centaines de moutons paissent sereinement le plus fameux des herbages : celui des prés salés, ni plus ni moins que de bonnes terres arables régulièrement recouvertes par l'une des plus fortes marées d'Europe.
Comme le confirment les producteurs locaux, ils emmènent leurs bêtes sur le domaine public, sur des terres que les plus forts coefficients de marée font disparaître sous le tumulte des flots. Plus de 2.000 hectares de prés dits salés courent ainsi du nord au sud du Cotentin, mais la réputation des terrains de ta baie du Mont Saint-Michel a de loin surpassé celle de ses coreligionnaires : les images pullulent dans tes guides patentés, montrant ses têtes ovines courbées vers le sol en posture d'arracher une pitance iodée avec, en toile de fond, le mont des merveilles.
Une race choisie pour sa robustesse
Oui mais voilà, que mastiquent ces patients quadrupèdes sur des sols aussi modestes, le sel ne passant pas non plus pour le plus prolifique des engrais ? Que des bonnes choses : ces immenses grèves ont développé leur propre milieu végétal, composé pour une bonne partie de puccilénie maritime, de spartine, ou encore d’obione. Au total, pas moins de 67 espèces uniques qui ont occupé ce biotope particulier.
Leur fléau, le suffolk, un mouton particulièrement choisi pour la souplesse et la robustesse de son physique, une espèce capable de venir à bout des évolutions du paysage, notamment de ses reflux d'eau formant de nombreux chenaux aux berges raides.
Autour de ce que l'on appelle ici des grévins, ces agneaux des prés salés, la profession s'est engagée sur la voie de la qualité, s'imposant quelques contraintes restrictives : le lieu de naissance, la race, la déclaration à la naissance de l'animal, l'alimentation, la santé, mais aussi l'abattage de l'animal. Des critères qui ont même permis de créer une marque autour de cette dénomination de grévin et qui permettent, par leur sérieux, de profiter pleinement de cette viande tendre au moment des fêtes pascales.
Julien Frizot – Le Bien Public – Quartier libre n°179 (du 02 au 08 avril 2004).
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