Pâtissiers et boulangers n'auront pas attendu les fêtes de la chandeleur et de Mardi gras pour alimenter leurs devantures en bugnes, ces beignets d'origine lyonnaise qui marquent à leur façon le début du Carême.
Lyon, capitale de toutes les Gaules, ville, que dis-je, capitale de confluence aura, depuis vingt ans, largement travaillé sur son image et sa renommée en travaux somptuaires que la reconnaissance au titre de Patrimoine mondial par l'Unesco a saluée en 1998… Lyon, à la fois offerte (bouchons lyonnais) et secrète (traboules) aura su jouer sur l'innovation (métros et trolley-bus) sans perdre ses traditions.
L'une des plus fameuses se conjugue avec carnaval, et plus précisément avec Mardi gras : la bugne (*), le plus vieux beignet connu, traditionnellement servi au mois de février et dont l'origine remonte au moins au XVe siècle.
Dans ces temps reculés, les impératifs de l'orthodoxie catholique obligeaient les populations à ne manger ni gras ni œufs pendant le carême. Les gens utilisaient alors leurs œufs et la farine pour ne pas les laisser perdre, le plus souvent en les faisant frire. Ceci n'est qu'une variante d'une histoire qui en compte deux, puisque d'aucuns soutiennent que les bugnes permettaient de supporter le carême : en clair, si la production dure de fin janvier à début mars, c'est pour suivre le jeûne imposé auquel les bugnes sont conviées.
Une découpe à la roulette
En attendant, quelques soient les raisons, les bugnes (on dit aussi « bignes ») étaient nées et se développèrent sur une vaste zone géographique, d'Arles à Dijon. Au fil des siècles, la recette s'enrichit de lait et de beurre, alors que les sources commencent à faire état de la profession de « bugnetier » au XVe siècle, sans doute dans les rues de la capitale rhodanienne. Voilà pour les évolutions historiques.
Cette tradition lyonnaise s'est aussi entouré de prescriptions : la bugne, découpée à l'éperon ou encore à la roulette, a une forme de rectangle, de nœud ou de losange. Comptez une taille d'environ 10 à 15 cm de long pour trois à quatre de large, et toujours fine et légère (20 g maximum !) ; les bugnes se mangent chaudes et non froides, après avoir pris soin de les saupoudrer de sucre glace…
Parmi les traditions encore vivaces, citons la place faite au mot dans le vocabulaire et les expressions orales : on dira de quelqu’un que c'est une bugne pour exprimer qu'il est un peu simple ; le mot est aussi employé en cas de chute (se payer une bugne) ou de coup (prendre une bugne, ou une beigne) ; on dit aussi de quelqu'un de décédé qu'il est monté au ciel comme une bugne, avec légèreté…
Craquantes ou levées
Pour être complet, précisons qu'il existe deux sortes bugnes : les craquantes réalisées sans levure (0,5 à 1 cm d'épaisseur) qui se vendent le plus souvent en charcuterie, et les levées, confectionnées avec de la levure (1 à 3 cm d'épaisseur) que l’on trouve traditionnellement en boulangeries et pâtisserie et qui, avec la cuisson, prennent des formes curieuses. Si les craquantes sont moins sucrées que les levées, elles peuvent indifféremment être parfumées au zest de citron, au rhum, à la fleur d'oranger ou encore au cognac, l'huile pouvant, par ailleurs, remplacer le beurre…
(*) Ne cherchez pas dans le dictionnaire, c'est un mot typiquement lyonnais.
Julien Frizot – Le Bien Public – Quartier libre n°175 (du 05 au 11 mars 2004).
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