mercredi 1 février 2012

Le neufchâtel, premier-né normand

NORMANDIE : LE PAYS DE BRAY

Il revendique le droit d'aînesse sur tous les autres fromages normands: le neufchâtel serait le premier-né d'un des plus fameux plateaux de fromage de l'Hexagone. Sa forme en cœur n'y est pas étrangère.

Entre Normandie et Picardie, le pays de Bray joue de ses influences normandes avec des paysages qui n'ont rien à envier au pays de Caux : il possède de belles haies de pommiers scindant de larges prés où paissent des vaches… normandes, ou encore de bons produits laitiers renommés. Le pays de Bray, pays de lait, mais aussi pays d'eau : c'est un véritable trident aqueux qui s'enfonce sur un axe nord-ouest/sud-est. L'Epte, le plus pointu, l'Aulne et la Varenne qui le pourfendent de part en part, irriguent ses verts pâturages qui se maculent aujourd'hui des robes brunes et blanches des vaches normandes, introduites au XVIe siècle après une vaste campagne d'assèchement des marécages. La production de lait s'en trouve démultipliée, l'État accentuant les productions de beurre en taxant - ici aussi - le sel lourdement : le salage, onéreux, fait augmenter le prix des productions fromagères locales.
Quelles sont-elles ses productions fromagères ? Elles tournent surtout autour d'un seul fromage - le neufchâtel - qui revêt cependant diverses formes. Pour le cœur, on évoque les premières mentions médiévales du fromage, lorsque, pendant les guerres de Cent Ans, les jeunes femmes exprimaient - barrière des langues oblige - leurs sentiments envers les soldats anglais occupant la Normandie. Voilà pour la petite histoire.
Des producteurs restés joueurs
Le reste est plus sérieux, car ce neufchâtel, fromage à pâte molle et à croûte fleurie, possède une appellation contrôlée depuis 1969. Elle fut demandée par le Syndicat de défense du label de qualité du neufchâtel qui, né en 1958, était désireux de conserver, face à la déprise agricole d'alors, une qualité au produit. L'idée : faire face à une industrialisation de la filière galopante et à l'abandon de la production fromagère, plus compliquée que la vente directe du lait aux grandes coopératives.
Carré, briquette, double-bonde, ou encore gros-cœur… Les producteurs n'en sont pas moins restés joueurs, permettant, dans les textes de l'appellation, de conserver la variété des formes de ce fromage original.
Emprésuré, égoutté, le caillé est ensuite mis sous presse pendant une douzaine d'heures. La « pâte » ainsi obtenue est malaxée, ensemencée de spores avant d'être de nouveau pressée. Mise en repos, elle est salée et le fromage passe à l'affinage entre 12 et 14°C dans une cave à 95 % d'hygrométrie, pendant une dizaine de jours. Il peut être consommé jeune, encore blanc, ou plus vieux. II offre alors des tons jaunes, voire rouges.


Et le beurre dans tout ça ?
Il n'y a pas vraiment de tradition beurrière en Normandie, tout comme il n'y a pas vraiment un coin de ce pays qui n'en fasse pas ! En clair : dans un pays de lait, le beurre est une affaire courante. Le beurre dit normand est à ce titre doux, de très bonne qualité artisanale mais peu goûté. Un beurre malaxé, sans eau, dit sec, et d'excellente conservation. Jadis, le pouvoir royal avait tendance à en favoriser la production plutôt que de voir les paysans fabriquer du fromage. Au XVIIIe siècle,les prix furent donc maintenus artificiellement très bas pour inciter les producteurs à produire du beurre.

Julien Frizot – Le Bien Public – Quartier libre n°223 (du 04 au 10 février 2005).

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