Aux confins du Berry, sur les bords de Loire, « pousse » le plus sympathique des fromages : le crottin de Chavignol, que la nature a pourvu de suffisamment de typicité pour s'accommoder des meilleurs vins de la région, dont le Sancerre.
Coincé entre la Sologne et la plaine ligérienne, attenant à la Bourgogne, le pays Fort ne fait pas figure de favori dans la course à la communication touristique tant le pays semble enclavé, méconnu… Grossière erreur ! Car le coin mérite à plus d'un titre d'être découvert de long en large pour se repaître de ses multiples secrets (comme, par exemple, la présence des Stuart, éminente famille royale écossaise au château de la Verrerie…), son architecture typique (maisons. en torchis de bois ou en briques…), ou encore de ses produits du terroir… Ce plateau, couvert pour partie par de sombres forêts, l'est aussi, entre autres, des vignes du Sancerrois aux breuvages secs réputés, mais aussi et surtout de prairies encloses de haies et autres bouchetures au milieu desquelles paissent bovins et ovins. Mais pas n'importe quels ovins: des chèvres de la race alpine… Ces chèvres sont ici dans leur royaume, un royaume dont la capitale n'est autre que Chavignol, modeste village qui porte sur ses frêles épaules le poids d'une tradition fromagère que certains prétendent née de la proximité de moines. Plus sûrement, les chroniques - celles d'un certain Jean de Lery pour être plus précis évoquent dès l'an 1573 la présence de chèvres, mais sans pour autant parler de fromage (s'il n'y a pas de fumée sans feu, la présence de ces vénérables quadrupèdes n'est pas contemporaine à la naissance d'un fromage…).
Le petit fromage monte à la capitale
De façon plus évidente, la traite des chèvres aurait donné naissance à un fromage de consommation journalière, produit par des paysans aux conditions de vie précaires. De leurs efforts, un certain type de fromage serait né, alliant typicité et caractère : le futur crottin. La notoriété croissante des encombrants voisins viticoles sancerrois va porter notre petit fromage à la connaissance d’un large public. Le crottin « surfe sur la vague du succès », dirions-nous aujourd'hui. En attendant, le petit fromage franchit la Loire, s'enhardissant sur les routes de France, jusqu'à monter à la capitale, où son goût connaît un succès grandissant accompagné de vin de Sancerre. Le mariage est consommé, et les deux prennent la pause sur les affichages promotionnels du Berry.
Un sujet de qualité en royaume Fort
Aujourd'hui, le petit fromage s'est embourgeoisé : une zone de production a été définie, et un syndicat de producteurs a vu le jour, s'employant à satisfaire la clientèle et à assurer celle-ci de la qualité en effectuant des contrôles organoleptiques et microbiologiques sur les fromages issues de petites unités de production. Au milieu de ce tumulte, la chèvre alpine, déclarée star incontestée du royaume agricole du pays Fort. Son lait est rapidement empresuré juste après la traite), pour un caillage compris entre 24 et 48 heures.
Viennent ensuite le pré-égouttage sur toile, le moulage en faisselle, et le salage. Ne reste plus qu'à affiner la pâte une bonne dizaine de jours. À ce moment-là, les consommateurs se déterminent selon les préférences, entre ceux qui l'aiment frais et laiteux, ceux qui le goûtent à point, juste ferme et recouvert d'une fine couche de pénicillium, et les extrémistes, qui voudront consommer un fromage presque sec comme le bois, avec des couleurs tournant au marron et à attaquer à la hache ! Quels que soient vos choix, n'hésitez pas à le présenter avec une bouteille de menetou-salon, de pouilly-fumé, ou encore, comme évoqué plus haut, du fameux vin de Sancerre, autant de nuances de vins, qui révéleront toutes les fragrances de ce petit fromage de pays.
Julien Frizot – Le Bien Public – Quartier libre n°176 (du 12 au 18 mars 2004).
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