mercredi 18 juillet 2012

Le temps des marchés au pays des « bourras »


RHÔNE-ALPES : LES BARONNIES

Avec l'été, certains arbres finissent de fleurir et livrent leurs trésors. Ici, en Baronnies, aux confins méridionaux de la Drôme, où la terre prend des allures de Provence, c'est le tilleul qui tient la vedette.

C’est à raison que les professionnels du tourisme développèrent voilà quelques années le concept - fort en évocations ensoleillées - de la « Drôme provençale » pour imager le sud du département, en opposition au nord « labellisé » géographiquement de « Drôme des collines ». Car il suffit d'arpenter un peu la région la plus méridionale de ce sympathique département - la Drôme - pour sentir poindre tous les charmes de la plus vendeuse des régions de France : la Provence.
Parfums de thym, buis et genévrier, tilleul et autres lavande et lavandin pour dégager d'ineffables arômes dans l'air, villages perchés aux murs blancs écrasés par le soleil aux heures chaudes, et déjà un fort accent méditerranéen sur les places de marchés ou sur les terrasses… Bienvenue dans les Baronnies, ultimes préAlpes du Sud, tortueux enchevêtrement de crêtes effilées et de ravins inaccessibles. L'origine de ce nom aux consonances historiques est à chercher du côté de la tumultueuse époque médiévale où, faute de grands axes de communications et d'un pouvoir central fort, une multitude de seigneurs locaux se partageaient la région.
Aujourd'hui, le climat chaud mais tempéré s'avère particulièrement propice à la culture d'arbres et plantes aromatiques, comme la lavande, mais aussi le mimosa, en fleur dès le mois d'avril et, plus tardif, le tilleul, dont les marchés, qu'il s'agisse de ceux de Nyons, capitale locale de ce pays, ou de Buies, exhalent les douces senteurs.
Une sélection parmi plusieurs souches
À ceux qui voudraient voir dans ce développement aromatique un des derniers avatars « attrape-touristes » du moment, sachez que le tilleul est ici chez lui à titre productif depuis le début du XIXe siècle, époque où les populations locales durent compenser par d'autres sources de profits l'abandon de la garance, cette racine produisant une coloration rouge vif, et surtout la sériciculture (ver à soie).
On planta alors des tilleuls dans les vallons de la Drôme, mais aussi sur les pentes, un investissement dont les premiers fruits ne furent récoltés qu'une demi-douzaine d'années plus tard, lors des mois de juin et juillet, selon l'altitude des arbres… Au fil des années, un travail de sélection permis d'isoler différentes souches comme le tilia bénivay, aux fleurs très odorantes, ou encore le tilia platyphylos, qui fut unanimement adopté en Baronnies. Quand on sait qu'un arbre de taille moyenne produit environ 10 kg de fleurs séchées et que la production annuelle monte bon an mal an à peu près à 450 tonnes de tilleul, combien d'arbres bordent les routes de la région? Aujourd'hui, on en recense pas moins de 30 000 sur les cinq cantons de Buis-les-Baronnies, Rémuzat, Séderon, Nyons et La Motte-Chalançon, soit environ 90 % de la production hexagonale ! Une production, nationale aux ventes érodées par la concurrence des pays de l'Est ou de la Chine, d'où la volonté pour les producteurs d'acquérir une IGP pour venir renforcer les dénominations de « Tilleul des Baronnies » ou « Tilleul de Carpentras ».
Pour l'heure, on se contentera de l'ambiance colorée et parfumée des marchés, comme celui de Buis-les-Baronnies, où une foule bariolée descendue des villages environnants - et eux seuls - vient vendre dans ses « bourras » de tissus le tilleul fraîchement cueilli.
Après l'expertise des acheteurs, le prix est fixé, l'affaire est conclue, et rendez-vous est pris l'année prochaine pour la nouvelle récolte.

Julien Frizot – Le Bien Public – Quartier libre n°195 (du 23 au 29 juillet 2004).

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