mercredi 17 août 2011

« Lire Rabelais », par Natacha Polony


A cogiter

Nathacha Polony, © DR.
« Comme les fraises ou les tomates, nous cultivons une jeunesse hors-sol, incapable de lire Rabelais, mais incapable pareillement de goûter ces mets et ces vins dont il se délectait, et dont la dégustation sensuelle et raisonnée entrait pour une large part dans l’éducation humaniste offerte au jeune Gargantua. A une époque où, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, un poulet ne se cuit qu’en un quart d’heure, par la magie du micro-ondes, où l’on peut manger des fraises en hiver sans avoir la moindre idée du caractère artificiel de tels produits, où des pizzas insipides unifient la planète pour un même triste repas, les jeunes ont perdu le souvenir de la civilisation qui les a portés. La modernité bienheureuse est en marche, et les vieilleries qui faisaient notre monde cèdent le pas devant la barquette plastique et le prêt à penser prêt à mâcher. Si bien que ce lien essentiel et subtil entre les goûts, les paysages et les œuvres qui ont fait la civilisation se délite peu à peu. Parce que nous n’avons pas transmis la richesse de ces patrimoines, s’ouvre le temps des barbares cybernétisés : la résistance est dans le pot-au-feu. »

Extrait de l’ouvrage « A boire et à manger », sous la direction de Roger Feuilly et Périco Légasse, aux Editions Labor/PAC, 2006.

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